25. Cuisine et gastronomie moléculaire

Introduction

Quand on parle de molécules, ça sonne « chimie ». Rappelons la définition de chimie : « Une science de la nature qui étudie la matière et ses transformations … ». La cuisine est justement la transformation d’une matière, les aliments. Ces derniers sont composés d’une multitude de molécules, qu’on fait réagir avec d’autres, en y ajoutant de l’énergie (chaleur, brassage, etc.). Oui, c’est de la chimie!

Gastronomie et cuisine

On entend parfois parler de gastronomie moléculaire et parfois de cuisine moléculaire. En fait, ce sont deux concepts différents concernant la nourriture. La gastronomie fait plutôt référence à la compréhension ou aux connaissances. On cherche à comprendre les mécanismes et les réactions qui se produisent lors de la préparation des plats. On veut connaître les composés qui donnent les arômes, les saveurs, la texture, la couleur, etc., propriétés qui sont si importantes dans notre alimentation.

La cuisine, quant à elle, est plutôt axée sur la réalisation, c’est-à-dire les procédés, les outils ou les actions pour arriver à obtenir les bonnes propriétés. Il s’agit donc de l’application des connaissances des phénomènes culinaires pour réaliser des plats ou des accords de mets les meilleurs possibles.

Nous avons vu dans de précédents articles, des cas de transformation culinaires :

  • Lait sans lactose;
  • Bière sans alcool;
  • Colorants alimentaires;
  • Moussage du lait;
  • Les oignons qui font pleurer.

Nous verrons dans les prochains articles :

  • La torréfaction;
  • Les épaississants;
  • La chimie du fromage;
  • La chimie du chocolat.

Dans le Tome 1 de « La chimie dans le quotidien », nous avons parlé de :

  • La cuisson;
  • La fermentation;
  • La décaféination;
  • Les additifs alimentaires.

On ne reprendra pas ces cas ici. On verra plutôt quelques exemples de nouveaux outils développés grâce à une meilleure connaissance des phénomènes impliqués dans la préparation culinaire. On verra aussi quelques exemples de molécules qu’on retrouve dans les aliments et les vins, qui expliquent pourquoi ils s’harmonisent  ensemble.

Outils de cuisine moléculaire

On parle ici d’outils fréquemment utilisés dans les laboratoires de chimie, qu’on utilise maintenant en cuisine.

Évaporateur rotatif :

Il s’agit d’un appareil (voir la photo qui suit) qui permet de distiller des liquides (sauce, bouillon, soupe, jus, etc.) à basse température en faisant le vide. Cela permet d’extraire des arômes sans les altérer, et les utiliser pour agrémenter des plats.

On sait que l’eau bout à plus basse température en montagne. Cela est dû à la pression de l’air plus basse qu’au niveau de la mer. En appliquant le même principe avec les aliments, en faisant un vide partiel, on peut ainsi volatiliser certaines molécules aromatiques sans chauffer beaucoup, ce qui réduit les possibilités de réactions ou de dégradation. À titre d’exemple, à 4% de la pression atmosphérique (0,04 atm), l’eau bout à 26 oC, au lieu de 100 oC. Il en est de même pour les molécules aromatiques contenues dans les aliments.

Sonde à ultrasons :

Il s’agit d’utiliser les ultrasons produits par un appareil (voir la photo qui suit). Les ultrasons sont des vibrations dont la fréquence dépasse 20 kHz, c’est-à-dire 20 000 cycles par seconde. L’oreille humaine perçoit les sons dont la fréquence se situe entre 20 et 20 000 Hz. Les vibrations à grande fréquence produites dans un liquide feront un peu comme un fouet. On aura donc facilement des mousses ou des émulsions, mais avec une bien plus grande efficacité et précision.

Siphon :

Il s’agit d’une bouteille contenant le liquide de la préparation. Une fois la bouteille fermée, on y injecte de l’oxyde nitreux (N2O), un gaz contenu dans une cartouche à usage unique (le même gaz que dans les bonbonnes de crème fouettée). La bouteille devient alors sous pression et une partie du gaz est dissout dans le liquide. En pressant un levier, on libère brusquement la pression, ce qui propulse la préparation hors de la bouteille. Le gaz dissout est alors libéré du liquide à cause de la baisse de pression, ce qui produit des milliers de bulles et fait gonfler le liquide, créant une belle mousse. Si le liquide contient des protéines et des matières grasses, on aura une mousse stable. La photo suivante montre un exemple de siphon culinaire :

Azote liquide :

L’azote (N2) est un gaz qui occupe 80% de notre atmosphère. Mais si on le refroidit à – 196 oC, il devient liquide. On peut le garder à l’état liquide dans des contenants spéciaux (thermos). On s’en sert en alimentation, entre autres, pour fabriquer de la crème glacée instantanée. En fait, toute matière qui entre en contact avec l’azote liquide gèle instantanément, sans que les cristaux de glace aient le temps de se former. Lorsque la matière en question est de la crème, on obtient une belle crème glacée onctueuse.

Gastronomie moléculaire

Les aliments peuvent être réunis en « familles aromatiques », c’est-à-dire contenant des molécules similaires, qui créent une harmonie entre eux. On parle, par exemple, des accords mets-vins. Il est intéressant de voir quelques exemples de molécules qui agrémentent nos papilles gustatives. Plusieurs des informations qui suivent ont été tirées du livre de François Chartier : Papilles et Molécules, Les éditions La Presse, 2009.

Anis et menthe :

Ce sont des saveurs qu’on apprécie lorsqu’on déguste du Sauvignon blanc. Ces saveurs proviennent principalement des molécules suivantes, dont voici la structure moléculaire :

Sans aller dans les détails de ces structures, on peut quand même voir que les trois dernières se ressemblent. Certaines de ces molécules se retrouvent aussi dans le basilic, le fenouil, le céleri, la betterave jaune et la pomme. C’est pourquoi ces aliments se marient si bien avec le Sauvignon blanc.

Sotolon :

Dans un autre ordre d’idée, on connait la molécule appelée « sotolon », dont voici la structure :

On retrouve cette molécule dans le curry, les noix et même dans l’eau d’érable. On peut d’ailleurs synthétiser cette molécule artificiellement pour simuler la saveur d’érable. On en trouve aussi dans la sauce soya, les bières brunes et noires, dans les vins jaunes, les portos, le vinaigre balsamique et le café.

Barriques de chêne :

La fameuse « saveur boisée » obtenue par la macération de vins et spiritueux dans des barriques de chêne, résulte en fait de quelques molécules qui se forment lors du brûlage de l’intérieur des barriques avec un feu de bois. Cette étape fait partie de la préparation des barriques de chêne avant leur utilisation. Cela entraîne une multitude de réactions chimiques entre l’oxygène de l’air et des molécules organiques du bois. Certaines des molécules produites sont peu solubles dans l’eau, mais très solubles dans l’éthanol (alcool contenu dans les vins et spiritueux). C’est ainsi qu’on les retrouve dans ces boissons. En voici quelques-unes :

Les saveurs caractéristiques de ces molécules sont mentionnées entre parenthèses.

Bœuf nourri à l’herbe :

On entend dire que la viande de bœuf nourri à l’herbe fraîche des pâturages est plus savoureuse que celle du bœuf nourri au foin et au grain. C’est que cette viande contient plus de gras polyinsaturé et de chlorophylle, qui se transforment en « terpènes ». Les terpènes sont ces molécules odorantes qui donnent aux plantes, aux fleurs et aux arbres leur vaste éventail de parfums, des senteurs de terre aux arômes de fleur en passant par les odeurs d’agrumes. Il s’agit d’une famille de molécules qui contiennent une chaîne C5H8 répétée un certain nombre (n) de fois. Voici la représentation d’un maillon de cette chaîne, où chaque trait est une liaison chimique entre deux atomes de carbone :

Celle viande est aussi plus riche en scatol, qui donne une odeur de fleur, dont voici la représentation moléculaire :

Conclusion

On connait de mieux en mieux la composition des aliments et les phénomènes survenant lors de leur transformation. Ces connaissances scientifiques jumelées aux équipements modernes, permettent de jouer sur les saveurs, les arômes, les textures et autres propriétés.

On peut alors réaliser des plats savoureux plus efficacement ou à moindre coût, ou en améliorer la possibilité de conservation ou même la valeur nutritive. La cuisine et la gastronomie moléculaire offrent de nouvelles possibilités qu’il s’agit d’exploiter à bon escient.

Bertrand Dubreuil, 25 avril 2022

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